Ça fait quoi, un mètre et demi ?

Publié le 28 juillet 2023

Écrit par Alex

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Un mètre et demi pour dépasser, ça paraît bête comme idée, non ? Eh bien non, il n'y a rien d'évident dans le fait d'estimer un mètre et demi depuis le siège avant-gauche de sa voiture.

Ça fait quoi, un mètre et demi ?

Ben oui, ça fait quoi un mètre et demi ? Vous allez me dire :

C'est facile. Ma Maman fait 1m70, 1m50 c'est quelques centimètres de moins.

Ou alors:

Ben 1m50 c'est mon record au saut en hauteur. Ça m'arrive à l'épaule, là !

D'accord. Mais quand il s'agit de se décaler pour doubler, après avoir vérifié son rétroviseur, son angle mort (oui, c'est comme ça qu'on fait), mis son clignotant, quand on regarde devant soi avec un peu de stress (même si bien sûr, on a attendu d'avoir une visibilité parfaite)... Là, soudainement, ce "mètre et demi" devient plus difficile à estimer. Moi-même, ça me perd un peu parfois.

C'est pourtant bien la distance qu'il faut laisser entre le bout du rétroviseur de la voiture (d'ailleurs il mesure combien lui ?) et le frêle cycliste que l'on dépasse : paragraphe IV de l'article R414-4 du code de la route: "un mètre et demi".

Comment j'en suis venu à remettre en question l'injonction des "un mètre et demi"

Le message paraît clair...

Cela fait quelque temps que je réfléchis à cette histoire. J'y repense à chaque fois que je revois ces panneaux qui rappellent aux gentils automobilistes de laisser 1m50 pour doubler un cycliste hors-agglomération.

Ça m'est de nouveau revenu en voyant Thomas Voeckler sur le Tour de France, lors d'une de ses interventions en partenariat avec Route plus sûre[1]. Hop hop hop, loin de moi l'idée de tirer sur le messager. Thomas fait son boulot, c'est tout. Mais "Route plus sûre"... c'est ceux qui ont tenté de distribuer aux cyclistes des bracelets où mettre leur nom, prénom, et le téléphone d'un proche. Identifier un corps est un travail si fastidieux... Bref, j'ai un peu du mal avec cette organisation. Pour en revenir à l'intervention de Thomas, je pense que ça m'a frappé tout simplement quand il l'a énoncée.

"Il faut laisser 1m50 entre votre véhicule et le cycliste que vous dépassez !"

Soudainement, j'ai compris que, dite avec aplomb, beaucoup de phrases comme celles-ci apparaissent comme des évidences. Et pourtant, confrontés quotidiennement à la réalité, cette évidence est mise à rude épreuve. Sans y réfléchir, on se dit que c'est simple. Et en y réfléchissant...

Ben non, non ! Ce n'est pas si simple. Ça fait quoi, 1m50 ? Vous le savez, vous ?

... en situation, il y a lieu de douter

Vous sauriez poser deux objets à 1m50 l'un de l'autre dans votre salon ? Allez, peut-être que dans le salon, vous vous en sortiriez. Vous avez le temps de voir, d'évaluer, réfléchir, de vous dire "Non, c'est un peu plus... un peu moins... là ça me parait beaucoup quand même".

Mais ce que dit le code de la route, et le message que martèle la Sécurité routière[2], c'est que vous devez savoir faire ça, depuis le siège avant-gauche de votre voiture, au moment de faire un dépassement, quelles que soient les conditions de visibilité, et tout en faisant tous les contrôles que vous devez faire pour dépasser en toute sécurité. Vraiment, vous y croyez ?

Je me suis imaginé face au directeur de la "Sécurité Routière", lors d'une conférence, pendant la session de questions-réponses, lui demandant :

"Sans quitter votre siège, imaginons que je me place à votre droite, et que je fasse varier ma position. Supposons que dans la vraie vie, je suis à vélo. Saurez-vous me dire si vous êtes en train de me dépasser en laissant entre nous une distance réglementaire ?
Parce que votre message de prévention, c'est de demander à M. et Mme Toutlemonde de faire ça, au travers du pare-brise ou de la vitre passager, quelles que soient les conditions de visibilité."

Voilà. C'est de là qu'est partie ma réfléxion...

Une exception du code ?

Je me suis ensuite demandé s'il existait un seul autre critère, un seul autre message de prévention, une seule autre mention dans le code, où les automobilistes doivent estimer eux-mêmes, sans aucun repère, une distance.

Les distances de sécurité ?

Le message est bien différent: aucune estimation n'est demandée, toutes les distances sont mises en évidence. On a mis des lumière bleues et oranges dans les tunnels, pour que chacun voit de lui même ce que font les 150 mètres à laisser entre deux véhicules. Sur l'autoroute, les bandes blanches à droite sont là à cet effet.

Un trait, danger. Deux traits, sécurité !

Un autre message de la sécurité routière que vous avez pu entendre, c'est le suivant :

Prenez un repère sur le bord de la route. Il doit s'écouler 2 secondes entre le moment ou le véhicule devant vous passe au niveau de ce repère, et le moment ou vous y passez.

Deux secondes, tout le monde sait plus ou moins les compter. Se tromper d'une seconde quand on compte deux secondes, c'est souvent pour ajouter du rab que pour faire plus court.

Les gabarits de hauteur ?

Pour les gabarits de hauteur, on met même une barre avec des perches ou des chaînes, parfois même des panneaux lumineux pour vous rapeller que si la galerie du camion fait plus de 2m30 vous allez exploser le plafond (ou le pont devant vous...). Et pour les cyclistes ? Il n'y a rien. "Un mètre et demi". Débrouillez vous avec ça.

Vraiment, aucun autre ?

Si si. J'en ai trouvé un : l'article qui indique que la vitesse est limitée à 50km/h sur route et autoroute, lorsque la visibilité est inférieure à 50 mètres. C'est bien ici, également, à vous d'estimer cette distance de visibilité.

Autant dire que c'est un cas bien moins fréquent que des cyclistes sur une départementale sur le front de mer un soir de juillet (et même sur une route de campagne par temps de pluie en octobre).

Peut mieux faire

Et encore, on martèle ce 1m50 alors que c'est simplement le minimum légal. C'est tout à fait légal de laisser 2 mètres, voire 3, si vous les avez...

C'est d'ailleurs ma technique. Je ne sais pas estimer "un mètre et demi", mais je sais qu'une départementale fait six mètres de large. Pour dépasser un cycliste, j'imagine que c'est un autre automobiliste : je me déporte sur la voie de gauche (si je ne peux pas, j'attends)...

Ce serait simple de présenter les choses comme ça, non ? Mais alors, pourquoi on le fait pas ?

Simplifier les messages de prévention, évident, non ?

La majorité des messages de prévention ont été simplifiés au maximum. Lorsqu'on souhaite inculquer à une masse une idée, on la simplifie. C'est du marketing de base. Idéalement, on trouve un slogan ou une chanson qu'il sera impossible de s'ôter du crâne :

"Des pâtes, des pâtes, oui mais des P*****"

Ça fonctionne pour tout pareil :

"Les antibiotiques, c'est pas automatique"

Mais aussi :

"Un verre ça va, deux verres, bonjour les dégâts"

Ou plus récemment :

"Quand on tient à quelqu'un, on le retient"

Donc, la sécurité routière sait faire. Enfin, elle sait faire pour les automobilistes... Quels messages, pour les autres usagers de la route ? Connaissez-vous un seul slogan relatif à la sécurité des piétons, des cyclistes ?

Il y en a bien eu un, un jour, dans une campagne de pub. Une affiche disait :

"Quand vous frôlez un cycliste, lui, il frôle la mort".

Car oui, c'est bien ce que l'on ressent, en tant que cycliste. Et c'est bien le premier risque auquel nous sommes exposés sur nos vélos : les dépassements abusifs.

Merci à la Sécurité Routière pour cet effort.

Se déporter sur la voie de gauche !

On disait donc qu'en terme de sécurité, le plus efficace reste une injonction simple à retenir, à faire, et à reproduire.

Plutôt que de demander le minimum, on pourrait simplement inviter les automobilistes à se déporter au maximum, à savoir, sur la voie de gauche ? Que gagne-t-on à laisser plein de place à gauche ? A-t-on peur de la tendinite ?

Et montrer ce que représente "un mètre et demi" ?

Des panneaux à la bonne échelle

On connait ce panneau sensé rappeler la règle des "un mètre et demi". Ce n'est pas qu'il ne fonctionne pas. C'est juste qu'il porte, de façon subliminale, l'exact contraire du message qu'il est censé véhiculer...

Le panneau
Le panneau "Un mètre et demi"

Si, si. Regardez le, la prochaine fois. Demandez vous, à l'échelle, est-ce que la taille du cycliste, la taille de la voiture, et l'espace entre les deux vous donnent l'impression de représenter "un mètre et demi", soit la largeur d'une voiture citadine (sans les rétroviseurs), ou bien trois à quatre fois la largeur du cycliste ? Non. Clairement pas.

Le message de l'image, donc, c'est "rasez les cyclistes, vous avez le droit"...

En premier lieu, commençons par ça. Une image à l'échelle, pour donner à voir ce que c'est que de laisser "un mètre et demi".

Communication instagram de la sécurité routière sur le dépassement des cyclistes.
Mauvaises langues ! Il y a bien eu une communication avec des distances à l'échelle.

Des marquages au sol

On pourrait (on devrait) aller bien plus loin. Quel est le meilleur endroit pour afficher une distance ? Le sol, bien sûr ! Alors comme pour tout le reste, pourquoi ne pourrait on pas avoir un marquage au sol ?

Pas un marquage type chaucidou[3], qui laisse à penser qu'on peut passer proche, pour peu que l'on soit sur une autre voie, mais un marquage ponctuel, comme une piqure de rappel :

  • Un carré ou rectangle zébré rouge à gauche du panneau "Attention cyclistes", de largeur 2 mètres, par exemple (le cycliste fait au moins 50 cm de large)

  • Un zébré vert, à gauche de ce carré, pour signifier la zone "sûre", celle autorisée.

    Dessins de marquages au sol montrant la distance minimale réglementaire.
    Propositions de marquage au sol incitatif, à l'échelle.

On y croit ?

Oh, je sais, vous allez me dire que, de toute façon, les automobilistes se moquent des lignes depuis longtemps. Il en existe déjà tant de baffouées.

Mais ce serait déjà un joli progrès, de commencer par montrer, plutôt que de dire ?


  1. Route plus sûre semble être une marque ou une dénomination de la Sécurité Routière pour sa communication, sur les réseaux sociaux, mais parfois aussi en dehors. ↩︎

  2. La Délégation à la Sécurité routière (DSR), abrégé ici en Sécurité Routière, est une administration centrale. Rattachée au ministère de l’Intérieur en 2008. Pour en savoir plus ↩︎

  3. La Chaussée à Voie Centrale Banalisée (CVCB) aussi appelée chaucidou est un marquage particulier destinée assurer la priorité et une plus grande sécurité aux cyclistes sur des chaussées trop étroites et peu fréquentées. Pour en savoir plus ↩︎

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